L’intensification de la pêche industrielle, notamment pour nourrir les saumons d’élevage ou les poulets, affame les oiseaux marins, dont les sternes ou les fous et manchots du Cap, alerte une étude.
Partout dans le monde, les oiseaux marins crient famine. Car l’intensification de la pêche industrielle leur ôte littéralement la nourriture du bec. Tel est le constat d’une étude publiée le 6 décembre dans la revue Current Biology, qui détermine pour la première fois le niveau de compétition entre la pêche industrielle et les oiseaux marins à l’échelle mondiale entre 1970 et 2010. Selon les chercheurs du CNRS, de l’université de Colombie-Britannique (Canada) et de l’université d’Aberdeen (Ecosse), la capture annuelle moyenne des proies des oiseaux par les pêcheries a augmenté de 59 à 65 millions de tonnes entre les périodes 1970-1989 et 1990-2010.
Pillage de sardines et d’anchois
Dans le même temps, la consommation moyenne annuelle de nourriture des oiseaux diminuait, passant de 70 à 57 millions de tonnes. Malgré cette baisse, et alors que les oiseaux marins sont les plus menacés – l’ensemble des populations a chuté de 70% depuis 1950 –, la compétition exercée par les pêcheries demeurait soutenue, et cette compétition a même augmenté dans 48 % des océans du monde, dont la Méditerranée ou la côte californienne.
«Nous montrons que c’est bel et bien à l’échelle globale que la pêche prend des ressources qui sont essentielles aux oiseaux marins, et pas simplement dans quelques endroits», insiste David Grémillet, chercheur au CNRS et coauteur de l’étude. Certaines zones et espèces sont cependant particulièrement touchées. «Le pillage des petits poissons pélagiques [ceux qui vivent dans les eaux proches de la surface, ndlr],sardines, anchois ou sardinelles au large de l’Afrique de l’Ouest par les navires de pêche minotière pour en faire des farines destinées à engraisser les saumons d’élevage ou les poulets, est désastreux pour l’environnement et les oiseaux marins, observe le scientifique. Et ces ressources devraient être utilisées pour nourrir les gens sur place, c’est une aberration d’en faire des farines de poissons.»
«Signal d’alarme quant à l’état des océans»
Les groupes d’oiseaux marins les plus en difficulté sont ceux qui dépendent de ces petits poissons pélagiques. C’est le cas des sternes, dont les populations globales ont décliné quasiment de moitié entre les années 70-80 et les années 90-2000. Au large de l’Afrique du Sud, les magnifiques fous du Cap au regard azur sont aussi menacés par cette surpêche, de même que les manchots du Cap, qui se nourrissent exclusivement de petits poissons pélagiques.
Outre la pêche industrielle, les scientifiques pointent d’autres causes du déclin des oiseaux marins. Ceux-ci souffrent aussi du changement climatique, de la destruction de leurs zones de nidification à terre, d’espèces envahissantes comme les rats et les chats, ou encore de captures accidentelles par les engins de pêche. «Les conclusions de notre étude vont au-delà du cas des oiseaux marins. C’est un signal d’alarme quant à l’état des océans et des ressources en poissons, estime David Grémillet. Mais ce n’est pas irrémédiable, il existe des solutions concrètes, des mesures qui peuvent être prises dès maintenant.»
Les chercheurs proposent d’interdire la pêche minotière. Ou encore de transformer les eaux internationales en aires marines protégées dans lesquelles les populations de poissons auraient la possibilité de récupérer et de réensemencer les zones côtières. «Des études montrent qu’on capturerait même plus de poissons en faisant cela», souligne le scientifique du CNRS.
Coralie Schaub Liberation