A l’occasion de la journée mondiale des pêcheurs dans le monde, le festival de films Pêcheurs du monde de Lorient s’interroge sur l’image des pêcheurs à partir des centaines de films projetés lors de ses 11 éditions. Il se dégage une image forte du monde des pêcheurs. Non seulement leur part est essentielle pour l’alimentation de l’humanité mais leur apport va bien au-delà.
D’abord nourrir l’homme
Les pêcheurs sont les fournisseurs en alimentation de la population depuis la nuit des temps. Cette recherche du poisson a fasciné (L’Homme d’Aran de R.J. Flaherty). Aujourd’hui leur contribution reste élevée et est encore plus vitale pour les populations les moins aisées d’Asie et d’Afrique, (Poissons d’or, poissons Africain de T. Grand). Le poisson fournit à plus de 3,1 milliards de personnes près de 20 % de leur consommation moyenne de protéines animales. C’est encore davantage pour des pays côtiers et insulaires. Selon la FAO, les pêches et l’aquaculture font vivre 10 à 12 % de la population mondiale. L’aquaculture connait une forte croissance en Chine et en Asie du sud (60 %) où elle est associée aux cultures (Happy rain, pluie fertile au Bangladesh, I. Antunes). Quelque 90 % des pêcheurs pratiquent la pêche artisanale, dont 15 % sont des femmes (La fille du détroit de Y. Charles).
Vers une gestion durable des océans.
On a pu assister à une course-exploitation aux ressources à la fin du XXe siècle avec l’escalade de l’industrialisation destructrice (Vents contraires de C. Henry Biabaud et S. d’Orgeval). Mais aujourd’hui, de plus en plus de stocks de poissons sauvages font l’objet d’un suivi régulier (Big Brother prend la mer de T. Le Vacon). On assiste même à un renversement de la tendance observée au cours des dernières années, notamment en Atlantique nord. Grâce à des politiques de contrôle et de quota, la majorité des stocks sont pêchés à des niveaux biologiquement durables. Cependant la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), le pillage de la ressource sur certaines côtes en Asie et en Afrique, permis avec des traités inégaux, demeurent une sérieuse menace pour les écosystèmes marins comme pour les moyens d’existence, les économies locales et les approvisionnements alimentaires. De nombreux films montrent à la fois ces pillages, les cris d’alarme des pêcheurs (Fishing Wars de N. Kadyrova) et les efforts des pays pour le contrôle de leurs ressources (Pirates des poissons de T. Wiedenbach ).
Des lanceurs d’alerte
Les pêcheurs sont souvent des lanceurs d’alerte quant aux menaces sur l’environnement (Tout va bien Lella ? de R. MBarki) mais aussi sur des drames humains. En Méditerranée ne pêchent-ils pas de plus en plus de déchets et même des cadavres (Strange Fish de G.Bertoluzzi). Ils dénoncent les pollutions qui affectent leur activité mais aussi l’ensemble de la société. Les populations de pêcheurs sont encore les premières victimes de l’élévation du niveau de la mer dans le Pacifique comme sur les côtes africaines (Cris du cœur de S. Tengeng ). Les pêcheurs sont directement touchés par les problèmes des migrants et des naufrages (La Pirogue de M. Touré). Ils interpellent sur des projets industriels ou touristiques qui ruinent la nature. Premiers observateurs des écosystèmes et des milieux maritimes, cette compétence ne pourrait-elle pas leur être reconnue et devenir une obligation rémunérée ?
Un rôle culturel
Porteurs de connaissances et de savoirs faire, leurs activités reposent sur des manières particulières de voir le monde. De nombreux peuples de la mer ont su survivre des siècles en sauvegardant leur milieu jusqu’à nos jours. Leur histoire est constitutive d’un patrimoine particulièrement riche (Mémoires de brume, M.A. Blanc).
Les pêcheurs véhiculent des valeurs d’indépendance, de courage, de liberté, d’abnégation qui en font des êtres ressentis comme différents des terriens, car un des derniers métiers directement au contact de la nature qui affrontent les éléments (Hommes de tempêtes, F. Brunquell). Plus encore ils participent à construire une pensée du lien de l’humanité avec la nature, à forger l’esprit d’un pays dans sa relation particulière à la mer, à la nature ( Synti, Synti de M. Jhöaner). Ce ressenti profond de « maritimité » a évolué tout au long de l’histoire et est différent selon les régions du monde. Durant longtemps la mer a été vécue à la fois vivrière et dangereuse, alors qu’aujourd’hui la mer serait riche de nouveaux gisements liées à « la croissance bleue » et, en même temps, menacée de destruction. Autre fonction culturelle, la pêche touche à la gastronomie, et donc à la qualité et à la variété des aliments, des mets, gage de convivialité.
Les pêcheurs fabriquent l’identité et la vitalité d’un territoire
La recherche du poisson nécessite une organisation, des bateaux, un avitaillement, du matériel. Le retour des bateaux implique la vente du produit, sa transformation, sa distribution. Tout un territoire en vit, comme Lorient et ses 3000 emplois. Il est clair que sa vitalité dépend aussi du type de pêche. Favoriser la concentration de la pêche en grosses unités qui monopoliseraient les quotas conduirait à la mort de nombreux littoraux. Il est préférable de fixer des capacités et la pression sur le milieu pour chaque bateau en jours de pêche afin de faire vivre le maximum d’équipage et de ports. Des films rapportent comment des pêcheurs résistent et tentent de mettre en place de nouveaux modèles de gestion.
Les pêcheurs interpellent sur la gestion des océans et du monde
La loi du marché et du profit conduit à détourner les pêches locales, entrainant à la fois la destruction de milieux maritimes, la mise en danger, et même en esclavage, des pêcheurs notamment dans le Pacifique (Esclaves des mers de J. Farges). L’accaparement des mers et leur privatisation sont une nouvelle menace pour ce qui jusqu’à présent était un bien commun à tous. Les politiques de développement des nouveaux potentiels énergétiques, miniers, biologiques… des océans entrainent leur découpage et accaparement. (Océans, la voix des Invisibles de M. Jounot). Des pêcheurs résistent, car les poissons n’ont pas de frontières. Mais ne deviennent-ils pas des gêneurs pour tous ces planificateurs des nouvelles exploitations de la mer, avides de nouveaux profits ?
Demander comme certains la suppression de la pêche pour sauver les océans est aussi peu pertinent que de vouloir interdire l’agriculture pour sauver la nature. Par contre promouvoir une pêche durable, n’est-ce pas contribuer au bien-être humain, à la vie d’une culture, au lien renouvelé avec la nature ? Faire vivre les pêcheurs aujourd’hui c’est défendre une manière de voir le monde, les territoires littoraux, les hommes et les océans.
Jacques Chérel, Président du Festival de films Pêcheurs du monde de Lorien