L’image est saisissante : de jour comme de nuit, ce sont d’impressionnantes roues d’acier qui tournent, inlassablement, dans de grandes cuves remplies de boues. Des cuves qui déversent ensuite leurs liquides opaques dans les dizaines de bassins en béton dressés tout autour.
De toutes parts, arrivent les bruits assourdissants que font les générateurs d’énergie mais aussi les broyeurs et concasseurs qui pulvérisent les pierres sorties des sacs en papier que l’on retrouve entassés partout sur le site.
Et tout ceci dans un tourbillon continue de poussières et de sables, soulevés par les vents qui soufflent dans toutes les directions.
Au milieu de ce paysage apocalyptique, on voit des ombres, plus que des hommes, gris de poussières, tantôt en train de décharger les sacs de pierre des camions – tantôt en train de décharger le sable dans les cuves ou en train de vider les bassins de leurs boues.
Des boues qui s’entassent pour former les tas de dunes alignées tout au long de ce site carré de 42 hectares mais aussi, hors du grillage, tout autour à perte de vue …
Bienvenue ! Vous êtes au Centre de Chami pour les services d’orpaillage traditionnels, communément appelé ici le « grillage ».
Il était une fois ….
La ville de Chami a été créée en 2012 dans le cadre d’une nouvelle politique gouvernementale d’urbanisation. Cette politique mise en œuvre par le gouvernement mauritanien visait à regrouper les populations semi-nomades dispersées dans la région.
Chami, construite en plein désert se situe sur la transsaharienne Tanger Dakar à mi-chemin entre Nouakchott et Nouadhibou.
Surnommée la ville fantôme, à cause de sa faible densité démographique, la ville de
Chami est passée d’une population autochtone de quelques centaines d’habitants à plus de 5000 résidents venus de partout.
Cette flambée démographique s’est faite en 2016 suite au développement de l’activité de l’orpaillage dans la zone de Taziast au nord de Chami.
La fièvre de l’or :
Cette nouvelle activité en expansion aurait attiré plus de 250.000 personnes dans la zone, selon les estimations de la présidente de la fédération des orpailleurs traditionnels en Mauritanie.
La grande majorité de ces personnes travaille sur les chantiers en plein désert, desquels elles extraient les roches sensées contenir de l’or, qu’elles expédient ensuite au centre de traitement artisanal de Chami, surnommé le « grillage ».
La création du grillage en janvier 2018, par le gouvernement mauritanien, serait motivée par une volonté d’organisation et de contrôle de cette activité porteuse de gros profits mais aussi d’autant de risques et d’impacts environnementaux négatifs.
On estime qu’il y aurait 3 à 4 mille personnes sur le site du « grillage » qui travaillent nuit et jour sur le circuit d’extraction de l’or à mains nues et à ciel ouvert.
Pour ce faire, les orpailleurs consommeraient en moyenne 720.000 tonnes d’eau par jour pour broyer les 120.000 tonnes de pierres qui arrivent des chantiers dans des sacs de 50 kg.
Ils utiliseraient aussi 200 kg de mercure par jour pour extraire quelques 20 à 30 kg d’or… du mercure qui sera déversé pour former les boues toxiques ou bien grillé par chalumeau.
Une catastrophe environnementale :
Le mercure, qui est classé par l’Organisation Mondiale de la Santé comme produit dangereux ayant des effets nocifs sur la santé des êtres humains, est en vente libre dans la plupart des magasins de Chami.
Les personnes rencontrées au centre de traitement artisanal de Chami, sont peu conscientes de la toxicité du mercure et de son impact sur leur environnement. Et ne prennent donc aucune mesure de sécurité, ni de protection.
La proximité des frontières de l’aire marine protégées du parc national du Banc d’Arguin (PNBA), site exceptionnel classé patrimoine de l’humanité, à 8km au sud de Chami, provoque de vives inquiétudes dans les milieux de la conservation.
En effet, les vents qui font la richesse du PNBA transportent très facilement les particules de sable chargées de mercure envoyées par Chami et qui vont se déposer sur les vasières du parc.
L’ancien président du conseil scientifique du Banc d’Arguin nous explique le phénomène : « Quand le mercure métallique se dépose dans des sédiments, dans les vases, comme dans les vasières du PNBA, il réagit avec la matière organique et se transforme en méthyl mercure – qui va être consommé par les petits poissons, qui vont être à leur tour mangé par les poissons plus grands et donc il y a, sur toute la chaine alimentaire, à chaque fois accumulation. Donc les plus grands prédateurs (dont les Hommes) vont être contaminés et cela est inéluctable.
Il faut savoir aussi que même à 15 degrés le mercure métallique émet des vapeurs. Les vapeurs entrent dans le système respiratoire, traversent la paroi intestinale, passent dans le sang et traversent la paroi placentaire. Donc les fœtus peuvent être contaminés, le lait maternel peut être contaminé… c’est quelque chose qui est absolument diabolique ! L’orpaillage au mercure est un vrai danger, pour la biodiversité, pour le PNBA et pour la population. »
La solution préconisée par le scientifique :
« Ce qu’il faudrait faire à mon avis, c’est d’abord d’interdire le grillage (grillage de l’amalgame mercure +or). Il y a des installations qui utilisent le mercure en circuit fermé. Il faudra voir et profiter des expériences des pays comme le Burkina Faso, par exemple.
Il y a aussi des méthodes d’extraction de l’or qui n’utilisent pas le mercure. Il y a ce que l’on appelle le Borax. C’est un procédé qui n’est pas aussi efficace que le mercure mais qui peut être utilisé. Par rapport au PNBA, moi je ne vois pas de solution autre que d’éloigner le site d’orpaillage. De le mettre sous le vent, c’est-à-dire qu’il faut voir les vents dominants. Parce que les boues vont sécher et vont s’envoler. Et donc ça on ne peut plus les rattraper.
En attendant …
Les déchets du site du grillage, soit des tonnes de sable traités par le mercure, sont rachetés par des entreprises privées en cours d’installation.
Elles prétendent que les orpailleurs ne peuvent extraire que 30% de l’or contenu dans ces sables et qu’elles ont l’intention de les retraiter pour en extraire les 70% restant.
En attendant d’être agréées, ces entreprises entreposent le sable racheté et déjà contaminé au mercure tout autour de la ville de Chami et encore plus près du Parc
National du Banc d’Arguin.
Maïmouna SALECK
Article publié dans le quotidien national d’informations « Horizons » – Edité par l’Agence Mauritanienne d’Informations – n°7709 du 04 février 2020
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