La mangrove, qui compte parmi les écosystèmes les plus productifs en biomasse de la planète, demeure un rempart naturel à Joal-Fadiouth, célèbre commune du département de Mbour dont l’environnement se partage entre espaces verts et vastes étendues de terres rongées par le sel des eaux marines. Un combat continu entre éléments de la nature ici comme ailleurs, mais encore plus dans cet estuaire également peuplé de baobabs et d’acacias.
Les bolongs (chenal d’eau salée) qui le sillonne sont parsemés de petits îlots de coquillages, ajoutant au charme de Joal-Fadiouth, dont la force des croyances traditionnelles constitue un élément de régulation pour une meilleure prise en charge des questions environnementales. Le site de Joal-Fadiouth constitue une des entités gérées par la direction des aires marines protégées (AMP) sur la base d’une gouvernance partagée, cadre dans lequel tous les outils de gestion sont conçus de manière participative, explique Cheikh Tidiane Diagne, son conservateur. Ces outils concernent l’état des lieux, la situation de référence et l’identification des priorités en matière de conservation.
« C’est cela le mobile de la conservation, qui doit être soutenu par la restauration d’une mangrove dégradée, pour préserver la fonctionnalité des écosystèmes mais aussi la valorisation, afin que son impact soit ressenti au profit des populations », dit-il. Il s’adressait à des journalistes, à l’occasion d’une visite de presse guidée du site de Joal-Fadiouth, à l’initiative de l’ONG Wetlands International et du Partenariat régional pour la conservation de la zone côtière et marine (PRCM). La mangrove, dont la régénération s’opère difficilement, fait le charme de cet estuaire doté d’une faune marine riche autour de laquelle s’articule les principales activités socio-économiques des habitants de Joa-Fadiouth.
LA MANGROVE, VÉRITABLE NUISERIE, LES BOLONGS, VIVIERS NATURELS POUR POISSONS
« La mer étant peu profonde, les coquillages s’y développent très bien, surtout les arches, les moules et les huîtres », indique le capitaine Cheikh Tidiane Diagne. Sans compter que les racines de mangrove constituent une véritable nurserie et les bolongs des viviers naturels pour beaucoup de poissons, de céphalopodes et de crustacés. « Nous voulons que les populations soient au cœur du processus » de gestion du site, avance le conservateur de cette aire marine protégée conçue sur une superficie de 17 400 hectares dont 900 de mangrove. Mangrove et herbiers marins restent les principales espèces végétales de cette faune, peuplée de deux espèces phare : le rhizophora et l’avicennia. Les herbiers marins, signale le conservateur, sont des prairies sous-marines qui poussent dans la plupart des mers du globe, en environnement strictement salin. Ils sont composés de plantes à fleurs et non d’algues. Le rhizophora, en ce qui le concerne, est une espèce facile à reboiser du fait qu’il s’adapte plus à ce type de sol, contrairement à l’avicennia qui donne des taux de réussite faibles dans la même situation. « Ici, les populations font corps avec la nature. Ce sont des gens qui vivent à 80% des ressources marines et côtières. Elles ont ressenti très tôt la nécessité d’une gestion durable de la ressource », souligne le capitaine Diagne. Outre la mangrove, l’AMP de Joal-Fadiouth compte diverses autres entités écologiques dont des « tannes », espaces dénudés ou couverts de végétation rase de la partie interne des marais maritimes tropicaux. Les « tannes », affectés par de nombreux usages, se développent aux dépens de la mangrove. A Joal-Fadiouth, le tableau est complété par une zone tampon composée essentiellement d’herbiers.
LA GESTION DE L’ENVIRONNEMENT BASÉE SUR DES SAVOIRS ENDOGÈNES
« Ces zones ont été définies suivant la fonctionnalité de ces écosystèmes et le mode d’usage. Chacune joue un rôle bien défini », indique le conservateur, selon qui la gestion de cet environnement s’appuie sur des connaissances endogènes, le savoir-faire local. « Ce sont des gens qui ont vécu avec le milieu et son évolution », fait-il observer. Abdou Karim Sall, président du comité de gestion de ce site, souligne à ce sujet le travail effectué par le comité en termes de renforcement de capacités des populations locales pour un meilleur suivi quotidien. Cela étant, il fait état d’une « dégradation avancée du site de mangroves, liée aux mauvaises pratiques compromettant la régénération naturelle », ce qui fait que la régénération de cet écosystème « passe par des pratiques et comportements corrigés » de l’action de l’homme sur la ressource, « notamment la coupe et la mutilation des jeunes pousses ». Dans cette perspective, des entités écologiques comme la mangrove peuvent aider à la reproduction des espèces, le site de Joal-Fadiouth se présentant selon lui comme une zone de frayère (lieu où se reproduisent poissons et batraciens), mais également de nourrissage et de grossissement des juvéniles. « Il faut sensibiliser les populations pour qu’elles puissent la préserver mais aussi pour que cette fonction importante de reproduction de la ressource soit maintenue », dit Abdou Karim Sall.
« La restauration n’est pas simplement la flore mais également la faune. Il faut agir directement sur la ressource à travers des activités de restauration et d’aménagement », ajoute-t-il. D’où la nécessité d’un changement de comportement afin de pousser à un diagnostic pouvant aider à identifier les forces, faiblesses, opportunités et les contraintes de cet environnement. « Les acteurs eux-mêmes doivent contribuer à la régénération en corrigeant les mauvaises pratiques de pêche, abandonner les mailles faibles non sélectives, la pêche à l’explosif, la coupe de la mangrove et toutes autres formes de pression ayant tendance à perturber le milieu », a préconisé le président du comité de gestion de ce site. De plus, sur les 5035 hectares concernés, 1772 sont des « tannes », à la fois zones inondables, terres salées, dénudées et contigües à la mangrove et qui empiètent sur la zone de terres non inondables, du fait de la coupe et de la déforestation de cet écosystème.
’’S’IL N’Y A PAS DE MANGROVE, LES ACTIVITÉS SONT AU RALENTI’’
La sécheresse des années 1970 explique en partie la perte de la mangrove à Joal, rappelle Abdou Karim Sall, jugeant qu’il est désormais indispensable de construire des digues de protection en vue de récupérer des terres cultivables. La mangrove est par ailleurs à la base de l’une des principales activités des femmes de Joal-Fadiouth, à savoir la cueillette d’huîtres et d’arches. « S’il n’y a pas de mangrove, ces activités restent au ralenti. Cela justifie la pertinence de reboiser non seulement pour résorber la demande en emplois mais aussi pour une sécurité alimentaire des populations. On reboise parce que c’est une zone de ponte, de nurserie et de grossissement des poissons », a indiqué Abdou Karim Sall. « Si Joal fait partie des zones les plus poissonneuses en Afrique de l’Ouest, c’est parce que sur les 430 mille tonnes débarquées au Sénégal l’année dernière, les 133 mille tonnes proviennent de son quai de pêche », a avancé M. Sall, par ailleurs président de la plateforme des pêcheurs de Joal. La mangrove et les herbiers marins, niches de ponte et lieu de reproduction de la plupart des poissons, « jouent un rôle important dans cette abondance », renseigne-t-il. Au total, « la culture est un outil efficace de gestion durable de la ressource, ici à Joal et ailleurs », en rapport avec les croyances traditionnelles des habitants de Joal-Fadiouth, lesquelles déterminent leur rapport avec l’environnement et la nature.
L’histoire de ces populations d’ethnie sérère, des gens de la mer qui ont apprivoisé ce pays de baobabs devenu un site privilégié de libation. L’esprit des ancêtres obligeant, les populations se rabattent également sur ces lieux pour régler des différends et prêter serment, selon Abdou Karim Sall. Il a par ailleurs rappelé que durant sa jeunesse, la coupe du bois de mangrove était interdite, disait-on, par le génie du village appelé « Maama Nguej ». Selon la légende, ce génie passerait la nuit pour récupérer les branches chez les personnes accusées d’avoir enfreint cet interdit. D’une manière générale, ces croyances mythiques deviennent un rempart moral et contribuent à protéger la mangrove, source de revenus pour les femmes. « Tout cela explique que la mangrove de Joal a été très bien protégée bien avant la mise en place d’une direction des aires marines protégées », relève le président du comité de gestion.